Si tant est que le rock n’ roll ait acquis certaines lettres de noblesse, c’est à des représentants comme Mike Tramp qu’il le doit. Car peu d’autres artistes ayant vendu plusieurs millions d'albums se produiraient avec autant de plaisir et d’humilité sur la minuscule scène d’un pub yerdonnois… Le Highland's Pub a en effet réussi le petit exploit de recevoir récemment Mike Tramp, seul avec sa guitare acoustique. Daily Rock se devait donc de faire le déplacement (d'autant plus qu'il s'agissait pour l'auteur de ces quelques lignes d'interviewer pour la première fois celui qui est son artiste préféré). Et Mike Tramp n'a pas déçu, ni à l'interview, ni lors du concert qui a suivi, ni durant le temps qu’il a ensuite consacré à toutes les personnes venues pour lui. Rencontre avec un homme qui a dédié sa vie au rock n’ roll. Rencontre avec un homme bien, tout simplement.
Ma première question est...
Mike Tramp : ...ta première question est : “Que diable fais-tu ici ?!?” (rires)
Oui, en effet, ça pourrait être ma première question... Alors que fais-tu ici et, surtout, que fais-tu ici si tôt, alors que ton nouvel album, ‘Cobblestone Street’, ne sortira que dans quelques semaines ?
Le truc, c'est qu'on m'a proposé de tourner en première partie de Beth Hart en France. Et j'ai accepté, même si c'était avant ma propre tournée. Mais comme il y a quelques trous dans les dates, je les remplis avec des dates en solo. J'étais hier à Uster, aujourd'hui ici, demain en France avec Beth Hart, ensuite je fais trois dates seul en Espagne, puis je reviens en France pour la fin de la tournée de Beth Hart et ensuite retour au Danemark.
Aussi loin que je me souvienne, tu n'as pourtantjamais ouvert pour personne...
AC/DC ! (rires)
Oui,mais ça c'était avec White Lion. Il me semble que tu ne l’a jamais fait en solo, par contre...
En effet, j'ai seulement fait ça une ou deux fois. Mais je saisis désormais toutes les possibilités d'obtenir des premières parties. Tu sais, je suis reconnaissant envers mes fans et envers ceux qui viennent me voir parce que j'étais Mike Tramp de White Lion. Mais le Mike Tramp de White Lion, c'était en 1991. Et le Mike Tramp de Freak of Nature, 1995. Tout ça date donc d'environ vingt ans... J'ai aussi besoin de toucher un nouveau public. Je ne peux pas toucher à nouveau les fans des années quatre-vingt : ceux qui devaient rester sont restés et les autres n'écoutent plus ce genre de musique. D'ailleurs, même si je continue de chanter des chansons issues de l’ensemble de mon répertoire, je n'écris plus de musique typée ‘eighties’... Tu sais, j'ai cinquante-deux ans et je dois coller à ce que je suis. Mais pour te répondre, bien sûr, j'essaie de faire un maximum de concerts moi-même, mais si je peux faire des premières parties et jouer pour de nouveaux publics, j'en profite.
Et comment se passe cette tournée ? Apparemment tu tournes vraiment tout seul, là...
Oui, oui, je suis tout seul. C'est agréable. J'ai fait ça l'année passée pour la première fois. Après avoir enregistré ‘Cobblestone Street’, je me suis demandé ce que j'allais faire. J'ai alors envoyé des emails à différents contacts dans le milieu en leur demandant si ça les intéresserait que je vienne seul pour jouer. Et en un rien de temps j'avais 45 concerts prévus ! J'ai pris ma voiture et je suis me suis donc lancé sans savoir ce que ça allait donner. Et ça s'est fait tout naturellement. Tu sais, même seul sur la route, tu trouves toujours quelqu'un pour t'aider en cas de besoin. Et ça te fait te sentir en vie. Je suis tout le contraire d'une rock star : j'ai les deux pieds sur terre, je transporte moi-même mon matériel, etc. C'est ainsi que je me sens bien, que je me sens à la maison.
Et justement, où te sens-tu à la maison ? Sur la route ?
Je ne me sens vraiment à la maison, réellement à l’aise, qu’avec mes deux pieds sur terre et en connexion avec les gens. Je suis disponible après les concerts, je viens discuter avec les gens, signer des cd. Je suis facile d'accès. Evidemment, si la chance me souriait à nouveau et que je venais à rejouer dans des grandes salles, je ne pourrai pas faire ça au milieu de deux mille personnes... Mais quand c'est possible, j'aime que les gens qui me suivent sachent que je suis en quelque sorte leur ami. A travers mes paroles, ils savent ce que je ressens, car j'écris sur moi-même, sur les problèmes que je rencontre. Et les gens peuvent se rendre compte que je ne cache rien. Donc beaucoup de personnes s'identifient à cela, en le transposant à leur situation personnelle. Car nous sommes très semblables, en fait.
Cela m'amène à te parler de ton nouvel album, ‘Cobblestone Street’, qui est encore plus personnel que les précédents, quasiment 'intime'... Pourquoi sortir un tel album maintenant ?
Oui, exactement, ‘pourquoi maintenant ?’... Mais je n'ai pas vraiment de réponse. Ca s'est simplement fait naturellement. C'est la première fois que je suis entré en studio pour faire un album sans savoir sur quoi ça allait déboucher. Je n'y suis pas entré avec un contrat et avec un label qui attend un produit fini pour en faire la promo. Je suis juste allé dans ce studio et je suis retourné à ce que j'ai toujours été. Beaucoup de gens ont une mauvaise perception de moi et pensent que je suis né comme le chanteur de 'Wait'. Non, je suis né dans cette rue pavée ('Cobblestone Street' en anglais, NDR) de Copenhague et j'ai grandi en jouant du Bob Dylan, du Neil Young et de la musique folk. C'est ça,le fondement de Mike Tramp. Un peu comme le Jack Daniel's pour Lemmy (rires). Pour moi, c'est une guitare acoustique et un canapé où je joue des chansons. Bien sûr, il y a ensuite eu les années White Lion. Mais ce que tu entendras tout à l'heure, ces versions brutes des chansons de White Lion que je vais jouer seul sur ma guitare, ce sont en réalité les versions originales de ces chansons. C’est comme ça qu'elles ont été composées à l'origine. Je ne suis donc pas un rocker qui fait des versions unplugged de ses titres : je ne fais que les jouer de la façon dont elles ont été écrites.
Mais alors qu'est-ce qui t'a empêché de faire un tel album avant ?
C'est un peu comme les plongeoirs : tu commences par celui de un mètre, puis trois, cinq et tu ne sautes celui de dix mètres qu'une fois que tu es prêt. J'ai toujours voulu faire cet album, mais il y avait toujours quelque chose qui bloquait. Là mon esprit s'est libéré et j'étais prêt.
Peux-tu comparer cet état d'esprit avec celui qui était le tiens lorsque tu as enregistré ton premier album solo, 'Capricorn' ?
Merci de dire ça. J'apprécie toujours quand les gens connaissent mes albums solo. Et quand ils comprennent que ma carrière solo n'a pas consisté à continuer dans la voie de White Lion ou de Freak of Nature et que tout ça s'est en effet arrêté avec la sortie de 'Capricorn'. Car les albums 'Capricorn', 'Recovering The Wasted Years' et 'More To Life Than This' sont Mike Tramp. Lorsque je suis seul plutôt qu'au sein d'un groupe, je me retrouve avec quelque chose de très brut, très simple avec des paroles très personnelles. C'est en effet ce qui s'est passé avec 'Capricorn'. Et avec le recul, je me dis que même si je ne faisais qu'enregistrer mes propres chansons, c'est un album où j'ai pris beaucoup de risques car il a marqué une vraie rupture.
Un peu comme ‘Cobblestone Street’, en fait. Dirais-tu que cet album marque un nouveau départ,la fin de quelque chose, ou les deux à la fois?
Et bien, je dirais un peu les deux. Je pense qu'il n'y aura qu'un seul 'Cobblestone Street' : c'est l'album le plus dépouillé que j'aie réalisé et je pense qu'à l'avenir ça le sera moins. Mais j'ai posé de nouvelles bases pour ma carrière sous le nom de Mike Tramp et on verra comment ça va évoluer. Si je devais revenir à quelque chose de plus rock et électrique, ça serait en tant que chanteur d'un groupe, pas sous mon seul nom. C'est d'ailleurs pour cette raison que mes deux derniers albums ont été publiés sous le nom 'Mike Tramp & The 'Rock n' Roll Circuz'. Car même si j'ai écrit les chansons, le groupe a eu une immense influence sur celles-ci : ce sont d'excellents musiciens et je ne leur dis pas comment ils doivent jouer. C'est ainsi que s'est créé le Rock n' Roll Circuz. Et je pense que c'est ainsi que je vais aborder le monde du rock à l'avenir : plutôt par projets particuliers.
Pour en revenir à ‘Cobblestone Street’, est-ce que son enregistrement t'a soulagé émotionnellement ? Parce des chansons comme 'Ain't The Life I Asked For' sont très fortes, voire même très tristes...
Oui, c'est une chanson très triste, en effet. J'avais le titre en tête depuis longtemps parce que j'avais pris l'habitude de dire aux gens : 'Ca n'est pas la vie que je voulais, mais c'est ce que j'ai eu' (‘This ain't the life I asked for, but that's what I got'). Cela peut venir de problèmes personnels que l'on peut rencontrer en relation avec avec sa femme ou ses enfants, mais également de résurgences des années quatre-vingt ou nonante, car j'ai toujours des cicatrices de l'époque Vito Bratta ou de Freak of Nature. Ca vient aussi de mon rêve de partir en Amérique et d'y vivre du rock n' roll et du fait que, quand j'ai réalisé ce rêve, ça n'était pas ce que je voulais. Toutes ces choses sont autant de ficelles qui me tiraillent de l'intérieur. Et tous ces tiraillements me ramènent à chaque fois à mes racines, que cela soient mes racines musicales, mais également à Copenhague. D'ailleurs, tu peux trouver des traces de ces racines tout au long de ma carrière, y compris dans les chansons de White Lion et Freak of Nature. Sur telle ou telle chanson, on remarque que j'ai grandi au Danemark, à l'époque du 'Smiling Sun' (logo anti-nucléaire créé au Danemark en 1975, NDR). Parce qu'après, quand j'ai débarqué aux Etats-Unis, tout n'était plus qu'illusion. C'était juste 'party time'. Tu ne pensais pas à la politique ou même à la réalité. Mais quand j'ai écrit 'Cry For Freedom', 'Broken Home' ou 'Little Fighter', ce sont mes racines européennes qui s'exprimaient, le fait que je me sentais concerné par certains évènements de par le monde.
Est-ce que tu penses que tu as quitté Copenhague trop jeune ? Car tu sembles avoir exprimé ce besoin de retourner à tes racines plus d'une fois, notamment sur les titres'All Of My Life' ou 'Endless Highway'...
Oui, c'est vrai que j'ai souvent ressenti ce genre de besoin de retourner à la maison dans ma carrière. Mais à chaque fois que je revenais, je me disais : 'Qu'est-ce qui me manque en réalité ?'. Parce que je n'arrivais pas à savoir ce que c'était. Et maintenant que tu amènes le sujet, parce je n'y avait pas pensé, c'est peut-être ce que ‘Cobblestone Street’est devenu : ce qui me manquait, c'était la place où je me sens à l'aise en tant que musicien. Tu sais, hier soir à Uster, ils passaient le DVD du concert deWhite Lion (Mark II) au festival Bang Your Head et je me suis senti un peu gêné. Je ne sais pas si je serais encore à l'aise dans le rôle du 'rock front man'.
Pourtant ça ne fait pas si longtemps que ça, c'était en 2005...
Non, ça ne fait pas longtemps, mais depuis que j'ai empoigné ma Telecaster pour 'Capricorn', j'ai eu envie d'être un songwriter, dans le style de Dylan ou Springsteen. Parce que c'est là que je me sens bien. Je n'ai pas grandi avec Aerosmith, mais avec beaucoup de musique folk européenne, et toute cette vague hippie des sixties. Mais je n'ai pas réalisé avant très longtemps l'impact que ça avait eu sur moi. Je l'avais en moi, mais quand je voulais devenir comme David Lee Roth, je n'y pensais pas du tout ! Pourtant ça a fini par refaire surface. Et la chanson 'When The Children Cry' en est une très bonne illustration, car avant que je la donne à Vito Bratta, c'était une chanson typique 'Mike Tramp'.
Revenons brièvement à la période White Lion, justement. Si tu pouvais remonter le temps, que dirais-tu à ce jeune gars (je lui montre sa photo sur la pochette du premier album du groupe, 'Fight To Survive') ?
Eh bien, pour revenir sur cette période, il faut savoir que l'essence de mon moteur était à l'époque ma haine à l'encontre du Danemark. Parce que j'ai participé au concours Eurovision de la chanson en 1978 (avec le groupe Mabel, NDR). Mais j'étais encore tellement jeune que je n'étais pas préparé à ce qui m'attendait. Car même si des groupes étrangers comme Sweet, Slade, Queen, Thin Lizzy, Rainbow etc., étaient connus au Danemark, il n'était pas pour autant facile d'avoir 16 ans et des longs cheveux blonds en étant danois… Je n'étais pas préparé au rejet ou aux moqueries. Donc quand nous avons quitté le Danemark au début 1979 pour passer trois ans en Espagne, il s'agissait pour moi de m'éloigner au maximum de mon pays. Et quand je suis ensuite arrivé aux Etats-Unis, peu m'importait si je devais dormir sur un matelas dans la rue : il était totalement exclu de rentrer à la maison. Donc quand je regarde ce jeune gars sur la couverture que tu me montres, je vois une énergie et une direction unique : droit devant. Ca a changé quand Freak Of Nature est né. Car j'avais mûri et évolué. Nous sommes ainsi revenu au Danemark pour le festival de Roskilde en 1993. Nous étions un groupe inconnu et les trente mille spectateurs n'avaient aucune idée que c'était un gamin de Copenhague qui chantait. Mais la presse musicale le savait et j'ai eu droit à des 'bienvenu à la maison' qui m'ont fait plaisir. Parce que, d'une certaine manière, j'attendais de pouvoir revenir et de leur faire face avec fierté. Mais j'avais besoin de temps pour y parvenir. Avant cela je n'étais pas prêt. Je me souviens d'un show à Copenhague avec White Lion, sur la tournée 'Mane Attraction' : le concert avait lieu à deux minutes de la rue où j'ai grandi, mais je n'avais qu'une hâte, c'était de quitter la ville pour rejoindre la prochaine date de la tournée en Suède. Car même si les fans m'ont alors accueilli comme à la maison, c'était une relation inconfortable qui a mis des années à se normaliser.
Et ce même jeune homme de 1983, s'il pouvait te voir aujourd'hui, serait-il fier de ce qu'il est devenu ?
Oui, je le pense. Car j'ai passé à travers tout ça. Tu sais, même à l'époque du succès de White Lion, il y avait des choses qui me posaient problème, à commencer par tout ces trucs de rock star, comme rouler en limousine. Par exemple, quand on a tourné avec Kiss, moi je sortais avec les roadies et je voyageais avec les chauffeurs de camion. Sur scène, je savais quoi faire et comment me comporter comme chanteur et front man. Mais en dehors, je n'arrivais pas à jouer à David Lee Roth ou à Paul Stanley. Je me souviens, une fois nous avons joué entre Skid Row et Mötley Crüe à Wembley, et je voulais m'adresser au public sur des sujets sérieux... mais ils s'en fichaient et les gonzesses me montraient leurs nichons ! Vito et moi en avions alors parlé, parce que nous voulions amener White Lion plutôt dans la direction de Journey en se concentrant plus sur la musique que sur les looks. D'ailleurs, si tu compares nos albums 'Pride' ou 'Mane Attraction' avec les albums de Poison ou Ratt, ce sont des mondes différents.
A l'exception des cheveux...
Oui, et nous avons aussi tous deux yeux (rires), mais c'est à peu près tout ce que nous avions en commun.
En effet, lors d'une de tes anciennes tournée, le logo sur la batterie de Kasper Foss était 'Mike Tramp : Love, Coffee & Rock n' Roll' : tu n'as jamais été dans le trip 'Sex, Drugs & Rock n' Roll' ?
En tout cas ça n'a jamais été notre message. Bien sûr il y avait des fête en backstage, mais ça n'a jamais été ce qui représentait White Lion. J'ai dû écrire quelques chansons dans le genre, mais je me suis très vite éloigné de ça.
Et quelle est ta perception du rock n' roll aujourd'hui ?
Tout d'abord, il n'y aura plus de groupe de rock qui deviendra un ‘classique’. C'est arrivé et ça n'arrivera plus. Ces groupes sont des dinosaures, comme Elvis, Hendrix, les Stones, les Beatles, AC/DC, Led Zeppelin, tous ces groupes. Ce sont les fondations sur lesquelles nous marchons tous. Aujourd'hui, lorsque les groupes se lancent, ils suivent presque une recette : ils leur faut un clip sur Youtube, un site Facebook, etc. Quand nous avons commencé avec White Lion, nous n'avions que deux ingrédients : on répétait et on partait en tournée. Après, la réussite dépendait de à quel point tes chansons étaient bonnes et à quel point tu assurais sur scène. C'était tout. D'ailleurs, pour en revenir à ‘Cobblestone Street’ : sur la chanson-titre, le refrain dit 'Don't fade away / Old Cobblestone Street / Where I come from' et fait évidemment allusion à la rue de mon enfance. Mais c'est également une métaphore pour indiquer que le rock n' roll auquel j'appartient ne change pas.
Mais est-tu à l'aise avec l'évolution du monde de la musique ?
Non, pas du tout. Ce monde est gouverné par American Idol et autres X Factor, mais plus par les groupes. Aujourd'hui, un groupe peut faire un ou deux albums et c'est terminé.
Et dans cet environnement, est-ce qu'un artiste comme toi peut encore facilement trouver les moyens d'enregistrer un album comme Cobblestone Street, à commencer par le financement ?
Tu sais, ça ne coûte pas grand chose de nos jours. D'autant plus que Cobblestone Street a été fait uniquement entre moi et mon pote Soren Andersen. On n'est plus à l'époque de 'Mane Attraction', qui avait coûté un demi million de dollars à enregistrer et pour lequel, entre la vidéo et le reste, on avait dépensé un million avant même d'avoir sorti le premier exemplaire de l'album ! A l'opposé, au jour où nous avons remis 'Cobblestone Street' à la maison de disques, il n'avait coûté que cinq mille dollars. C'est aussi cette approche qui me permet d'être ici. Si je ne voyageais pas seul, mais que je devais payer un road manager, cela m'empêcherait de jouer dans des endroits comme celui-ci. Et c'est mon but actuel : je veux jouer dans des endroits où je n'ai encore jamais joué, dans des plus petites villes où il n'y a parfois pas de salle de concert à proprement parler. Cela permet à certaines personnes de redécouvrir les concerts, voire de retomber amoureux de la musique et c'est vraiment agréable.
Dernière question (qui ne le sera pas., finalement, NDR): que peut-on te souhaiter pour l'avenir ? Quelles sont tes envies ?
Et bien... Si je pouvais faire un souhait, ça serait de rester où je suis maintenant. Pas ici géographiquement, mais là où j'en suis en tant que personne, avec ma maturité et mes connaissances actuelles. Je suis parfaitement en phase avec mon âge et mon environnement. Car actuellement je comprends tout ce qui m'entoure et je ne voudrais pas que cela change.
Ca fait plaisir de te voir aussi heureux, parce que ça n'était pas évident à l'écoute de 'Cobblestone Street'...
Je crois que ça a beaucoup à voir avec la confiance en soi. Il y a beaucoup de chanteurs qui ont eu du succès par le passé et qui s'accrochent tellement à celui-ci qu'ils n'acceptent pas qu'ils ne peuvent plus chanter comme avant. Tu les vois et tu as envie de leur dire : 'c'est ok d'admettre que tu as maintenant 63 ans, alors change un peu ta musique et adapte-toi... Tu as l'air de quoi à 65 ans de chanter au sujet des gonzesses et de trucs comme ça ? Fais preuve de maturité, mec !'
Donc tu es satisfait de ton évolution personnelle... Mais est-ce que tu es également content de la façon dont ta voix évolue ?
Oui, définitivement. Mais tu sais, je l'ai simplement suivie. C'est comme quand tu vas courir et que tu vois tes limites, que tu te rends compte que tu es un coureur de 3000m et pas de 10'000m. Déjà à l'époque de White Lion, je sentais que ma voix était en train de changer au moment d'aborder l'enregistrement de 'Mane Attraction'. C'est pourquoi ça a débouché sur Freak Of Nature suite à la séparation de White Lion. Le mec qui chante sur Freak Of Nature n'est plus le même mec qui chantait sur 'Mane Attraction'. Mais c'était juste une évolution naturelle. D'ailleurs je le disais déjà avant à Vito : 'il est exclu que j'essaie à tout prix de rester le même et de continuer à chanter aussi haut, parce ça ne colle plus avec ce que je ressens ni même avec mon visage.' J'ai ainsi laissé ma voix évoluer naturellement, sans chercher à combattre ce changement. Je l'ai accepté et, heureusement, ça a bien collé avec la direction musicale que je prenais.
Maistu ne prévois quand même pas que ta voix suive la même évolution que celle de Bob Dylan...
(Il rit et me montre le tatouage – très réussi, soit dit en passant – de Bob Dylan qu’il a sur l’avant-bras)
Justement, je sais combien tu es fan...
Tu sais, Bob Dylan est simplement un phénomène. Je ne pense pas qu'il avait prévu d'avoir cette voix aujourd'hui. Il n'empêche : ce mec a beau avoir énormément d'argent, il continue quand même à tourner. Même si on ne sait jamais à quoi s'attendre, comme les soirs où il joue du clavier dos au public, les fois où il quitte la scène et que tu regarde son groupe continuer seul, ou quand il décide à la dernière seconde quelle chanson il va jouer sans avertir son groupe. Ce mec est unique et il n'y en aura plus d'autres comme ça. Il est comme Elvis au niveau de l'impact qu'il a eu. Enfin, tout ça pour revenir à ta question : admettons que ça arrive et que ma voix évolue comme celle de Dylan. Dans ce cas-là, je ne jouerai plus 'Broken Heart'. J'essaierai simplement d'être le meilleur Mike Tramp que je pourrai à ce moment. Je ne chercherai pas à être Bruce Dickinson, Don Dokken, Vince Neil ou David Coverdale, et à essayer de me mesurer à ce que j'étais. On ne peut pas faire ça. C'est la vie. C'est comme le fait que ça ne me dérange pas de voir une ride sur mon visage, car c'est parfaitement en accord avec qui je suis, avec mes paroles et avec ma connexion avec les gens. Ce qui serait très difficile, par contre, ça serait de me battre contre tout et de ne pas arrêter de me plaindre quand je viens dans un petit endroit comme celui-ci. Le truc, c'est de partir en tournée et de ne rien attendre du tout. Et quoi qu'il arrive, c'est bien. Je me suis préparé pour tout ça. Il n'y a pas de surprises.
Cette tournée va te ramener aux Etats-Unis, et vu que tu y as vécu longtemps, ça sera également un retour à la maison. Tu y étais retourné récemment ?
J'y suis retourné avec le White Lion Mark II, oui, en 2005 et 2008. Mais ça n'était pas bien. Le genre de tournée où tu te dis tous les jours 'mais pourquoi ai-je accepté ça ?'. J'avais mis fin à White Lion, puis on est venu me chercher et je me suis dit que je pourrais faire des concerts plus grands qu'en solo. Mais en réalité ça n'est pas une fin en soi de faire des grands concerts. Je ne me sentais pas à l'aise. Nous avons joué en Inde, nous avons fait une tournée en Amérique du Sud et joué notamment au Chili et en Colombie pour des publics qui ne nous avaient jamais vu auparavant. Mais ça ne servait en réalité à rien. Je ne voulais pas être payé pour aller jouer devant cinquante mille personnes en Inde, ne pas vendre un album, puis revenir l'année d'après pour remettre ça.
Mais tout de même, ne penses-tu pas que c'était un mal nécessaire de tenter une reformation de White Lion ?
Oui, tout à fait, il fallait essayer pour savoir. Maintenant je sais. Et il n'y aura jamais de nouvelle réunion de White Lion.
Tu peux ainsi passer à autre chose...
Dans toute ma carrière solo, je n'ai jamais joué beaucoup de chansons de White Lion. Ce soir, par contre, j'ai fait une set list spéciale pour ici et je n'aurai jusqu'ici jamais joué autant de chansons de White Lion... C'est agréable de pouvoir moduler ainsi son répertoire. Mais par exemple, pour la tournée aux Etats-Unis qui arrive et dont je me réjouis, je ne pourrai pas faire la même chose qu'ici en Europe. Je pourrai aussi parler avec le public comme je le fais ici, mais les fans ne sont pas les mêmes, ils ne connaissent pas le background, comme toi par exemple. Il sont peut-être fans de White Lion, mais ils connaitront rien sur le groupe. Ils connaissent les chansons et nous ont peut-être vus une fois en concert. C'est tout. Ici, il y a des mecs qui ont tous mes albums, qui savent dans quel studio ça a été enregistré, qu’il y a deux versions différentes de telle chanson, etc. Je suis d'ailleurs moi-même un peu comme ça avec Stephen King, où je connais tous les bouquins et les références à d'autres histoires qui y figurent... C'est un peu comme ces passionnés de Star Trek, ou autres…
Ca fait quoi d'avoir des fans aussi loyaux et passionnés ?
J'apprécie cela car j'accorde moi-même une pareille attention aux détails, que ça soit par exemple pour Queen ou Thin Lizzy. Hier encore, j'ai un mec qui est venu et qui m'a dit que ce que je faisais était la bande-son de sa vie. Et il avait les t-shirts de toutes les tournées avec lui. Et je me sens d'autant mieux que je suis là à discuter avec lui, pas à me cacher en coulisses.
Dernière question : tu parles de Queen ou Thin Lizzy, deux groupes dont le chanteur est décédé et qui ont repris plus tard d'autres chanteurs : aurais-tu accepté le job ?
Non. Je n'accepterais même pas le job de chanteur dans Van Halen ou Mötley Crüe. C'est d'ailleurs la différence entre Gary Cherone (chanteur d'Extreme qui a enregistré un album avec Van Halen, NDR) et moi : moi j'ai conscience que je ne pouvais pas le faire (rires). Tu sais, mes amis de RATT m'avaient appelé à l'époque où je venais de déménager en Australie pour devenir leur nouveau chanteur. Mais la première chose, c'est que Stephen (Pearcy, chanteur de RATT) est un bon ami à moi. Il était le premier mec à m'accueillir à Los Angeles et depuis nous sommes restés amis. Et deuxièmement, sa voix est si unique qu'elle est la voix de RATT. Ils m'ont répondu 'Oui, mais AD/DC...'. J'ai dit 'Putain, mais tu ne peux pas nous comparer à AC/DC !'. En résumé, je suis Mike Tramp et je ne peux être que moi-même. Je n'ai jamais chanté les chansons des autres et ça n'est pas ce que je fais. Tu ne peux de toute manière pas prendre ces positions. Très peu de personnes ont réussi. Ou alors tu es comme Journey. Car personne ne sait qui est dans ce groupe. Journey, c'est un son. Mais tu ne peux pas vraiment remplacer David Lee Roth. La seule façon de le faire, c'est de changer complètement le son du groupe en intégrant Sammy Hagar. Et en plus, Sammy était déjà très connu aux Etats-Unis lorsqu'il a intégré Van Halen. Mais sinon ça ne fonctionne pas. Même avec White Lion, quand on a remplacé Greg d'Angelo et James LoMenzo tout à la fin, ça n'a pas fonctionné. Parce que même si les musiciens sont meilleurs, ça ne rend pas le groupe meilleur.
FICHE CD
Nom de l’album : « Cobblestone Street »
Label : Target Records
Website : www.miketramp.com