Né en Australie et ayant en partie grandi en Europe, c'est cependant aux Etats-Unis que Rick Springfield a décidé d'aller chercher le succès. Et il l'y a trouvé doublement : en tant que musicien, bien sûr, car c'est ce qu'il est avant tout, mais également en tant qu'acteur. Et, au vu de la qualité d'écriture de la récente autobiographie qu'il a lui-même rédigée ('Late, Late At Night', parue ), une belle carrière d'écrivain s'ouvre clairement également à lui. Mais c'est à l'occasion de la tournée promotionnelle de son dernier album en date ('Songs For The End Of The World') que nous avons eu le privilège de nous entretenir avec Rick Springfield. Rencontre avec un homme au sommet de son art et sur lequel le temps ne semble avoir aucune prise, ni vocalement, ni physiquement...
Alors, comment tu te sens d'être de retour en Europe ?
Rick Springfield : J'ai froid ! (rires)
C'est vrai que le temps est pourri aujourd'hui... Mais si je demande ça, c'est parce que l'Europe représente une partie de ta vie...
Oui, c'est vrai que, comme j'ai vécu en Angleterre étant enfant, je me sens à la maison en Europe. Et même si je n'y suis pas revenu beaucoup pendant les années quatre-vingt, je m'y sens toujours à l'aise. Ca n'est pas comme d'aller au Japon, par exemple, qui est vraiment très différent...
Ta tournée européenne ne compte que six dates : pourquoi ne pas rester plus longtemps ?
Parce que j'ai des engagements aux Etats-Unis. J'ai en particulier rédigé une nouvelle dont la publication est prévue en mai 2014. Et je dois encore travailler dessus.
Ca c'est une bonne nouvelle pour ceux qui, comme moi, ont adoré le style rédactionnel de ton autobiographie, plein d'humour et d'intelligence..
Merci. Cette nouvelle sera écrite sur le même ton, avec de l'humour, mais avec un 'sens', si tu vois ce que je veux dire.
Tu peux développer un petit peu ?
Oui, cette nouvelle s'intitule 'Magnificent Vibration' et ça parle d'un mec qui est à bout et qui voit une nouvelle voie qui s'ouvre à lui et... (rires) je ne sais pas trop comment en parler, parce que je ne veux pas déjà dévoiler l'histoire !
Bien sûr, je comprends. Donc on attendra mai 2014 ! D'ailleurs, ton actualité, c'est plutôt ton dernier album, 'Songs For The End Of The World', qui est vraiment puissant et plein d'énergie : dans quel état d'esprit étais-tu au moment de le composer ?
J'étais sur la route quand je l'ai composé. Et c'est parce que nous jouions tout le temps en live que cet album a tourné ainsi. J'avais déjà composé l'album 'Living In Oz' (1983) de cette façon et il avait une énergie très similaire. Donc ça vient simplement de ce que je suis entièrement tourné vers le fait de jouer en concert.
En ce qui concerne les paroles de cet album, il y a quelque chose de surprenant : sur la moitié des chansons, on dirait que tu t'adresses à Dieu ou à une 'entité supérieure'...
Oui, il y a une dimension spirituelle, en effet.
Tu parles de cette quête spirituelle dans ton livre : aurais-tu donc trouvé quelque chose suite à sa parution ?
En fait, je continue à chercher et à perdre ce fameux quelque chose... (rires) D'ailleurs, ma nouvelle concerne exactement ce sujet, cette recherche de Dieu, d'un sens à la vie... Donc je suis encore dans ma quête et les choses changent quotidiennement en ce qui concerne ma spiritualité : j'ai des hauts puis j'ai des bas... Et si j'écris beaucoup à ce sujet, c'est parce que j'y pense constamment.
Quel est le concept derrière le titre 'Songs For The End Of The World' : est-ce juste un clin d'oeil à la fin du monde prévue le 21 décembre 2012 ?
Non, pas vraiment. En réalité, j'ai le sentiment que le monde est vraiment dans une situation périlleuse actuellement, que nous avons atteint le point de non retour vis-à-vis de tous les dommages que nous avons causé à la planète et à ses populations. Ainsi, les chansons traitent de relations dans ce monde. Mais ce sont des relations dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, donc périlleuses.
Malgré cela, c'est sûrement la première fois que tu n'écris quasiment que des paroles de chansons positives... Parce que si tu composes en effet toujours des musiques 'joyeuses'...
...les paroles ne le sont pas tellement. C'est vrai. Oui, mais ces nouvelles chansons ont plus d'espoir en elles. Parce que jesuis rempli d'espoir. C'est d'ailleurs pour cela que je continue à écrire : parce que j'ai encore l'espoir de voir certaines choses changer. J'ai beau souffrir de dépression et ne pas avoir de réelle porte de sortie, j'ai toujours de l'espoir en moi.
Tu évoques largement dans ton livre cette dépression, que tu nommes 'Mr. Darkness' : est-ce qu'il a fait le voyage avec toi pour cette tournée (NDR : allusion à un chapitre du livre où Mr. Darkness était exceptionnellement resté à la maison à Los Angeles lorsque que RS était parti en tournage en Nouvelle-Zélande) ?
Oui, bien sûr. Il est là. Il est toujours avec moi, quelque part...
Quelle est ta relation avec Mr. Darkness ?
Pas bonne... (rires)
Mais as-tu pensé à ce qu'aurait été ta vie sans lui ?
Oui. Elle aurait probablement été beaucoup plus joyeuse. Mais toute mon écriture vient de cet endroit sombre en moi...
Donc c'est à la fois une bénédiction et une malédiction...
Tout à fait, c'est yin et yang... C'est comme tout, d'ailleurs : rien n'est totalement bon ou totalement mauvais.
Dernière remarque sur la pochette et le livret de ton album : contrairement à ton habitude, il n'y aucune photo de chien (RS étant un amoureux inconditionnel des chiens, il y en a quasiment sur tous ses albums depuis 30 ans, NDR)...
(rires)... Sérieusement ? Il n'y en a pas ? (il feuillette tout le livret, NDR) Et bien, mon chien est décédé récemment. Et il aurait dû y figurer... Mais son âme est dans l'album.
Désolé pour toi, c'est vrai que ça n'est jamais facile...
Oui, c'est atroce. Mais on sait quand on adopte un chien que ça arrivera un jour. D'ailleurs beaucoup de gens renoncent à adopter un animal parce qu'ils ne veulent pas passer par là. Mais malgré ce moment difficile, ça en vaut largement la peine.
Revenons à ta carrière : comment définirais-tu ta relation au succès aujourd'hui ? A lire ton livre, tu semblais toujours à sa recherche, mais à lire par exemple les paroles de 'Ordinary Girl' (sur l'album 'Karma'), tu parais avoir évolué...
En fait, ça ne me dévore plus de l'intérieur, comme cela a pu être le cas dans le passé. Mais au fond, ce que j'ai toujours aimé, c'est écrire. Et j'aime que ma musique soit entendue. Donc j'avoue quand même apprécier qu'on lise ce que j'écris et qu'on écoute ma musique. Ce qui est humain, à mon avis...
Est-ce que la reconnaissnce de tes pairs musiciens, comme celle de Dave Grohl à travers son documentaire 'Sound City', est importante pour toi ?
C'est toujours agréable d'être apprécié. Tout le monde aime ça. Et comme j'ai connu pas mal d'emmerdes au début de ma carrière, je suis content de voir qu'au final ma musique reçoit un peu de respect.
Et ça te fait quoi d'avoir des fans si dévoués ?
C'est vrai que j'ai des fans vraiment loyaux... Tiens, rien qu'aujourd'hui, j'ai rencontré un mec dans le lobby de mon hôtel : il est venu spécialement de Paris pour le concert de ce soir (au Z7 de Pratteln, NDR). Je trouve ça totalement incroyable.
Ce qui m'amène naturellement à te parler du documentaire 'An Affair Of The Heart' qui va très bientôt sortir en DVD : que peux-tu nous en dire ?
C'est un documentaire centré sur mes fans et sur ma relation avec eux. Il y a des extraits de concert et je parle de temps à autres, mais ce sont surtout les fans qui sont au premier plan. Il y a vraiment des histoires fortes. Certaines de ces personnes me suivent depuis trente ou trente-cinq ans.
Est-ce que le fait d'avoir autant de gens qui croient en ce que tu fais et qui t'aiment t'aide à combattre ta dépression ?
Non, parce que c'est en mon for intérieur. Et tu ne peux pas attendre de quelqu'un de l'extérieur qu'il te fasse te sentir bien. Ca ne fonctionne pas. En tout cas pas à long terme. J'en ai fait l'expérience la première fois où j'ai rencontré le succès : je me suis dit que ça allait me guérir, mais ça n'a pas été le cas. C'est quelque chose qui se passe à l'intérieur, et personne ne peut te soigner. J'ai évidemment énormément de chance d'avoir des gens qui veulent m'entendre jouer. J'aime ça et je ne pourrais pas partir en tournée sans cela. Mais la guérison reste quelque chose d'intérieur.
Donc tu fais une séparation entre la scène et la maison...
Oui, exactement.
A propos de 'maison', comment te sens-tu vis-à-vis de l'Australie, qui t'a vu naître ? Tu y retournes parfois ?
Oui, j'adore l'Australie.
Mais pourtant, à lire ton livre, ta relation est plutôt spéciale avec ce pays : tu passes ton temps à le fuir, mais tu veux que tes cendres y reposent le jour venu...
Oui, yin et yang, une fois encore... (rires) Amour et haine. L'Australie est mon 'petit village', celui où on grandit et duquel on n'a qu'une envie c'est de partir. Mais en vieillissant, on n'a qu'une envie, c'est d'y retourner...
D'ailleurs, comment ressens-tu le fait de viellir ?
Il y a certains aspects qui me plaisent et d'autres non. Choper des courbatures après avoir donné un concert, ça ne me plaît pas (rires). Mais c'est vrai que j'écris mieux, que j'ai plus de choses à dire et que j'ai les idées plus claires quant à ce que je veux exprimer. Mais tu sais, ça n'est pas spécialement marrant de vieillir ! (rires) Tout le monde aimerait être plus jeune. Je connais des trentenaires qui aimeraient avoir la vingtaine. C'est dingue, non ?
Une chose incroyable, c'est ta capacité à paraître toujours plus jeune... Car là où d'autres musiciens s'assagissent en prenant de l'âge, toi tu sors carrément l'album le plus puissant que tu aies jamais composé... D'où te vient cette énergie ?
Euh... je pense que c'est simplement l'amour de ce que je fais. Mais je ne sais pas, en réalité. Tout ce que je sais, c'est que je ne voulais pas devenir plus 'sage' en vieillissant. J'ai toujours voulu rester plein d'énergie, ça doit être ça le truc.
Si tu pouvais retourner en arrière dans le temps, que dirais-tu à ce jeune homme (je lui montre une photo de lui lorsqu'il avait environ quinze ans, tirée de son autobiographie) ?
Oh mon Dieu.. Tellement de choses... Il y a tellement de choses que je regrette. Mais ce jeune mec savait ce qu'il voulait. A l'époque je m'entraînais beaucoup à la guitare et je savais que je voulais aller aux Etats-Unis et en Europe pour jouer et chanter. C'est ce que je faisais à l'époque de cette photo, dans ma tête !
Tu lui donnerais un conseil ?
Bah, je pourrais toujours essayer, mais franchement, il ne voudrait rien entendre ! (rires) Je lui dirais de ne pas faire les mauvais choix. Parce qu'en réalité, je sais quand je fais les mauvais choix et je sais pourquoi je les fais. Donc c'est le conseil que je lui donnerais. Mais les mauvais choix font aussi de toi ce que tu es...
Et si ce jeune homme pouvait te voir aujourd'hui, que penserait-il de ce qu'il est devenu ?
Il serait stupéfait que je vive effectivement aux Etats-Unis, que j'aie une maison, une famille, que je donne des concerts. Il serait très excité. Peut-être toutefois qu'il serait en colère de certaines choses stupides que j'ai faites.
Parmi ces choses stupides, y en a-t-il une en particulier que tu voudrais changer si tu le pouvais ?
Je ne me laisserais pas abattre par ma dépression. Je la combattrais. En 1985, je suis vraiment tombé en grave dépression : j'ai tout arrêté, j'ai disparu de la circulation et je suis resté à la maison pendant plusieurs années. Je ne le referais pas. J'irais en thérapie pour essayer de surmonter ça. Ca a vraiment été une période très difficile pour moi.
Pour finir, si tu pouvais prendre la place de n'importe quel musicien d'un autre groupe pour partir en tournée, qui choisirais-tu de remplacer ?
Paul McCartney dans les Beatles ! Ou Pete Townsend dans les Who.
D'ailleurs je crois que tu as justement eu la chance de le rencontrer, Paul McCartney...
Oui, plusieurs fois même.
Ca t'a fait quoi de rencontrer ton idole ?
J'étais terriblement excité... Tu sais, c'était l'idole du jeune homme dont tu m'as montré la photo, alors ça fait quelque chose de le rencontrer...
FICHE CD
Nom de l’album : « Songs For The End Of The World »
Label : Frontiers Records
Website : www.rickspringfield.com